Le soleil était timide ce matin-là, la journée s’annonçait paisible et agréable. J’étais assise sur un banc de bois, face au parc dans lequel les enfants s’amusaient autrefois. Naïfs, purs et insouciants, ils auraient eu toute la vie devant eux... J’aurais aimée revenir en arrière et vivre au même rythme qu'eux, mais ce n’était qu’un rêve qui ne se réaliserait jamais. C’était la triste réalité, la vie dans toute sa tristesse. Le passé n’était qu’un long chemin inaccessible derrière moi. La vie continuait…

À chaque fois que je venais ici, le passé me rattrapait. L’image d'Opale, ma sœur jumelle se dessinait dans mon esprit. Ses longs cheveux sombres, son sourire indélébile, sa joie de vivre et les nombreux souvenirs que j’avais d’elle. Avec les bons souvenirs revenaient les mauvais et le plus douloureux d’entre tous. Opale happée par ce chauffard ivre devant mes propres yeux ce soir d'hiver. Son corps couvert de sang et sans vie… Ce corps qui était autrefois si semblable au mien. Ce jour était la fin d’une vie heureuse. C’était la fin de mon innocence, je prenais conscience de l’ampleur de ce monde. Je comprenais toutes ces horreurs qui s’y déroulaient…

Ce fut aussi la fin du mariage de mes parents. Mon père nous quittant pour se réfugier en Arménie, très loin de nous. Ce chauffard ivre avait déchiré ma famille et maintenant, mon père la détruisait entièrement. Il n’y avait plus que ma mère et moi, nous étions seules, abandonnées. Du moins, jusqu’à mes quatorze ans. Le jour où Steeve est entré dans notre vie, je n’aurais pu me douter une seule fois de la souffrance qu’il allait nous infliger à son tour. Je ne pouvais savoir qu’il allait me détruire et je ne pouvais pas juger ma mère pour cela. Elle ne savait pas, sinon elle aurait choisi une autre voix… Pendant six mois, cet homme m’a séquestré à l’intérieur de sa propre maison, m’empêchant d’y sortir. J’avais près de quinze ans à l’époque et le nouveau mari de mère n’était rien d’autre qu’un véritable salaud. Il me tirait jusqu’à ma chambre par mes longs cheveux et m’y faisait connaître de véritables souffrances. Je ne pouvais pas m’échapper, je ne pouvais pas respirer, je ne pouvais pas vivre. J’ai même songé quelques fois à m’enlever la vie. J’aurais été si bien près d'Opale, non ? Je n’arrive même pas à comprendre la force que j’ai eue pour continuer à vivre, car je rêvais pourtant de la mort.

Lorsque ma mère s’est rendu compte de ma détresse, il était déjà trop tard. Elle ne pouvait rien tenter, sinon elle attirait sa foudre. Il l’a frappait comme il me frappait puis il n’y avait aucun moyen de se sortir de là. Jusqu’au moment où Orphée la chienne chérie de Steeve s’échappe… À ce moment, j’ai trouvée la force de m’enfuir et de me reconstruire une vie nouvelle. J’ai porté plainte et les témoignages de ma mère et moi le conduisirent droit en prison, là où il ne ferait plus de mal. C’était la fin de cette vie, la fin de ces supplices. La liberté m'attendait, mais pour combien de temps ? Je ne pouvait m'empêcher de penser à cette question. Et si cette liberté était de courte durée ? Et si quelqu'un me détruisait à nouveau, surtout un homme ?

Évidement, je n'ai pas été la seule à avoir été détruite cette fois, ce fut le sort de tous les humains. Quand ces êtres surnaturels sont sortis de nul part, ils ont tout détruit, même mon humanité. À présent, je ne suis plus humaine, je suis comme eux, une créature. J'avais eu parfaitement conscience que ce semblant de bonheur ne durerait pas...